Timidement. Peut-on autrement s'approcher
des événements du 13 novembre 2015 et de ceux qui
les ont précédés ? Avec le respect dû
aux victimes mais aussi sur la pointe des pieds devant une
réalité tellement terrible que l'art peut faiblement
l'appréhender. Partage du deuil, timidité de la
pudeur, inquiétude de vouloir faire de la
littérature sur ce qui ne se peut regarder sans
frémir.
L'intrusion dans une soirée
presque estivale, tant il faisait doux ce soir-là, du
réel dans sa brutalité, n'a-t-elle pas fait vaciller
notre croyance, notre foi laïque en l'art et ses vertus de
partage de connaissance, d'humanisme contre le noyau d'ombre qui
existe en chacun de nous ? Devant le choc des crimes, la douleur,
les témoignages d'affliction et de deuil Place de la
République, ne nous sommes pas demandés ce que
pesaient la fiction et nos engagements d'artiste, de professeur ?
Ne nous trouvions-nous pas devant une insoutenable
métaphysique du mal que les héros grecs ou
shakespeariens ne nous restituaient que de manière
éloignée et parfois bouffonne ? Comment croire
encore à la fiction devant la nuit de l'être ? A la
fiction au cur de l'affliction ?
Il nous a fallu très vite trouver
des chemins de paix pour pouvoir surmonter le réel et
trouver les mots de consolation les jours suivants dans les
classes, dans les ateliers artistiques, pour pouvoir
réaffirmer notre foi dans l'humanité. Tous nous
l'avons fait. Accoucher les récits des
élèves, puis lentement refonder la mimesis comme
représentation de la fiction qui exhausse le réel
à la dimension d'une création humaine et humaniste.
Devant le risque de désenchantement du monde, nous avons
tous uvré à redonner foi dans le
réenchantement par l'art de la vie quotidienne, qui donne
congé à l'ennui, au vide de l'esprit, structure
l'imaginaire, construit la sociabilité dans
l'énergie et la joie que crée un projet
collectif.
La représentation
théâtrale se fonde sur un pacte de suspension
momentanée de l'incrédulité qui n'exclut pas
au contraire la représentation de l'épouvante des
crimes, de l'horreur vécue par les survivants, de la
déréliction humaine. N'oublions pas que Les
Troyennes d'Euripide sont une déploration sur les morts de
Troie et les ravages de la guerre. Mais l'art exhausse le
réel au rang de récit symbolique ou
métaphorique, ce qui lui permet de répondre à
des questions métaphysiques, de provoquer une catharsis, de
creuser des questionnements, de continuer à vivre
après des actes impensables. Dans notre extrême
solitude, il peut, acte dérisoire mais affirmation de notre
humanité, tenter d'être un barrage à
l'expansion des ténèbres.
Alors de nouveau surgit du gouffre noir
du plateau, un ou une qui vient nous parler.