Insoutenable métaphysique du mal

Le billet d'humeur de Dominique Paquet
 
Timidement. Peut-on autrement s'approcher des événements du 13 novembre 2015 et de ceux qui les ont précédés ? Avec le respect dû aux victimes mais aussi sur la pointe des pieds devant une réalité tellement terrible que l'art peut faiblement l'appréhender. Partage du deuil, timidité de la pudeur, inquiétude de vouloir faire de la littérature sur ce qui ne se peut regarder sans frémir.
L'intrusion dans une soirée presque estivale, tant il faisait doux ce soir-là, du réel dans sa brutalité, n'a-t-elle pas fait vaciller notre croyance, notre foi laïque en l'art et ses vertus de partage de connaissance, d'humanisme contre le noyau d'ombre qui existe en chacun de nous ? Devant le choc des crimes, la douleur, les témoignages d'affliction et de deuil Place de la République, ne nous sommes pas demandés ce que pesaient la fiction et nos engagements d'artiste, de professeur ? Ne nous trouvions-nous pas devant une insoutenable métaphysique du mal que les héros grecs ou shakespeariens ne nous restituaient que de manière éloignée et parfois bouffonne ? Comment croire encore à la fiction devant la nuit de l'être ? A la fiction au cœur de l'affliction ?
Il nous a fallu très vite trouver des chemins de paix pour pouvoir surmonter le réel et trouver les mots de consolation les jours suivants dans les classes, dans les ateliers artistiques, pour pouvoir réaffirmer notre foi dans l'humanité. Tous nous l'avons fait. Accoucher les récits des élèves, puis lentement refonder la mimesis comme représentation de la fiction qui exhausse le réel à la dimension d'une création humaine et humaniste. Devant le risque de désenchantement du monde, nous avons tous œuvré à redonner foi dans le réenchantement par l'art de la vie quotidienne, qui donne congé à l'ennui, au vide de l'esprit, structure l'imaginaire, construit la sociabilité dans l'énergie et la joie que crée un projet collectif.
La représentation théâtrale se fonde sur un pacte de suspension momentanée de l'incrédulité qui n'exclut pas au contraire la représentation de l'épouvante des crimes, de l'horreur vécue par les survivants, de la déréliction humaine. N'oublions pas que Les Troyennes d'Euripide sont une déploration sur les morts de Troie et les ravages de la guerre. Mais l'art exhausse le réel au rang de récit symbolique ou métaphorique, ce qui lui permet de répondre à des questions métaphysiques, de provoquer une catharsis, de creuser des questionnements, de continuer à vivre après des actes impensables. Dans notre extrême solitude, il peut, acte dérisoire mais affirmation de notre humanité, tenter d'être un barrage à l'expansion des ténèbres.
Alors de nouveau surgit du gouffre noir du plateau, un ou une qui vient nous parler.
 

Dominique Paquet

Autrice, actrice, philosophe

Membre du CA de l'ANRAT

 

Novembre 2016